Les microparticules plastiques issues de la fragmentation des déchets flottants envahissent le milieu marin. Fléau pour les espèces marines et défis dignes de Sisyphe pour les éliminer et changer nos consommations…

On connaît désormais la part très importante des plastiques accumulés dans les océans. En Méditerranée, une vaste étude d’échantillonnage menée par les équipes de l’université de Cadix (Espagne) évalue qu’entre 1 000 et 3 000 tonnes flottent à la surface sous la forme de bouteilles, d’emballages de toutes sortes, de polystyrènes, de sacs, de fils de pêche… Les chercheurs espagnols ont retrouvé ces déchets dans 100 % des échantillons à une concentration moyenne de 483 grammes au kilomètre carré. Un niveau comparable à celui des vortex océaniques dans l’Atlantique et le Pacifique où se développent les fameux “continents” de plastique, baptisés le Septième continent.

La majeure partie de la pollution est dominée par les fragments de moins de 5 millimètres, appelés microplastiques. Ceux-ci sont issus de la dégradation avec le temps de déchets plus gros dérivant en mer qui peuvent atteindre des tailles microscopiques.

La Grande Bleue étant une mer presque fermée, ouverte sur l’Atlantique au détroit de Gibraltar et communiquant par le canal de Suez avec la mer Rouge, les pollutions de toutes sortes s’y accumulent. 450 millions d’habitants vivent sur les zones côtières, répartis dans vingt-deux pays riverains. La population y a fortement cru depuis 1970. La région méditerranéenne attire près de 30 % du tourisme mondial avec comme conséquences une forte urbanisation et des activités économiques qui génèrent nombre de nuisances parmi lesquelles les pollutions par les eaux usées, l’industrie et le plastique.

Invisibles à l’œil nu et nocives pour la vie marine

En 2014, l’expédition du bateau polaire Tara à travers la Méditerranée durant sept mois avait déjà établi que Mare Nostrum abrite la plus forte densité de microplastiques, présents dans les 2 300 échantillons récoltés à l’aide d’un filet très fin chargé d’étudier au départ la qualité du plancton. Pas un d’entre d’eux, même recueilli loin du littoral, n’était exempt de matières plastiques. Au large de Nice, les scientifiques ont calculé qu’un kilomètre carré de mer abritait 500 000 particules, parfois même invisibles à l’œil nu. Cette pollution provient essentiellement de la terre et des grandes agglomérations. Marseille, Naples et Beyrouth figureraient parmi les principaux apporteurs de matière, ensuite dispersée par les courants, qui se fragmentent encore et encore et infiltrent l’ensemble de l’écosystème méditerranéen. “Inévitablement, les poissons et les baleines peuvent les avaler dans leur quête de nourriture, reconnaît Maria Luiza Pedrotti, coordinatrice scientifique de l’expédition Tara Méditerranée. Les adjuvants au plastique de type phtalates ou bisphénol, sont ainsi lâchés dans l’environnement. On en a retrouvé des traces sur des fragments de tissus (biopsies) de cétacés. Nous cherchons à savoir désormais si ces produits se retrouvent dans nos assiettes…” Ces particules infimes ingérées par les espèces marines, entrant dans la chaîne alimentaire, libèrent dans leur intestin des substances chimiques (le plastique est fabriqué à base de pétrole) ainsi que des perturbateurs endocriniens, nocifs pour l’homme. Cet impact sur l’homme est avéré. Ainsi, les agences de sécurité alimentaire conseillent désormais aux femmes enceintes de ne pas surconsommer du poisson car il peut contenir ces polluants.

Autre défi, les chercheurs essaient de savoir si ces microparticules représentent un danger pour l’écosystème marin mais aussi pour les êtres humains. En effet, ces fragments servent de refuge et de radeau à des quantités d’organismes, algues, microfaune… dont plusieurs se nourrissent. Certains virus comme la bactérie Vibrio cholerae, responsable du choléra, peuvent être disséminés par ces micro-déchets flottants auxquels ils s’agglomèrent et parcourent ainsi de grandes distances. Des spécialistes estiment que cette dissémination pourrait avoir des effets néfastes en termes sanitaires.

Des solutions mais le réveil tarde…

Les nombreuses solutions consistent à réduire l’utilisation et la production de plastiques, générateurs de déchets à long cycle de vie, jusqu’à en abandonner l’usage au profit des emballages fabriqués à partir de produits naturels, authentiquement biodégradables. L’interdiction des sacs et sachets de caisse en France est un premier pas qu’il faudrait étendre à tous les pays méditerranéens. L’océanologue Gaby Gorsky, directeur de l’expédition Tara Méditerranée, recommande un nettoyage des côtes à long terme que seuls les États peuvent entreprendre. Il faudrait également se pencher sur la pollution des fleuves qui charrient emballages et déchets d’autant que le taux de recyclage reste faible, moins de 25 %. Selon l’organisme Éco-Emballages, sur un million de tonnes d’emballages plastiques mis sur le marché, à peine 230 000 tonnes sont recyclées. Le reste est donc brûlé avec les ordures ménagères ou jeté dans la nature. L’éducation et un réveil éco-citoyen sont nécessaires. Chantier de longue haleine…

En attendant cette prise de conscience qui tarde, des initiatives individuelles se font jour. Comme celle de ces pêcheurs du port de Villajoyosa, province d’Alicante (Espagne), qui, fatigués de rejeter à la mer le plastique pris dans leurs filets mêlés aux poissons capturés, entreprennent de trier ces déchets. Une fois à terre, cette matière devenue ressource est récupérée par une entreprise madrilène Ecoalf. Celle-ci recycle les matériaux usagés (pneus usagés, vieux filets, bouteilles…) pour tisser du textile servant à la fabrication de blousons, sportwears, sacs à dos… vendus dans des magasins chics de Londres ou New York.

© Revue Gibraltar, Un Pont entre deux Mondes, N° 5

FacebookTwitterMore...