Ce que le juge Baltasar Garzón, exclu en 2012 de la Magistrature pour 11 ans, n’a pas pu réaliser du fait de la loi d’amnistie espagnole de 1977, la juge argentine María Servini de Cubria va tenter de le mener à bien : le 18 septembre dernier, elle a lancé un mandat d’arrêt international contre quatre ex-fonctionnaires de la police de Franco, âgés de 66 à 78 ans et accusés de faits de tortures durant la dictature.

Ces informations complètent et enrichissent le dossier sur Les enfants de la mémoire à vif, publié dans le numéro 2 de Gibraltar, concernant les crimes jamais jugés, ni même examinés et perpétrés durant la guerre d’Espagne (1936-1939) et durant la dictature du général Franco (1939-1975). 

Et alors que s’est ouvert en Espagne le 13 octobre 2013, une polémique cérémonie de béatification de 522 “martyrs” ou religieux tués pour l’essentiel durant la guerre, avec la bénédiction de la hiérarchie catholique espagnole qui avait soutenu en 1936 le coup d’État contre le régime de la IIe République, issu des urnes, et même du Pape François.

La demande de détention provisoire concerne Jesús Muñecas Aguilar, ex-capitaine de la Garde civile, Celso Galván Abascal, ex-inspecteur de la brigade politico-sociale et escorte de Franco et de la famille royale, José Ignacio Giralte González, ex-commissaire, et l’ex-inspecteur José Antonio González alias Billy El Niño, ceci à fin d’être interrogés par Interpol, jugés en Espagne ou bien extradés en Argentine.

Quelle que soit l’issue de cette procédure, María Aranegui porte-parole de la plateforme de soutien à la plainte argentine contre les crimes franquistes (AQUA : apoyo a la querella argentina) se réjouit de la décision de la juge : “C’est une décision historique qui marque le début de la fin de l’impunité”.

Trois ans d’instruction

Avril 2010 : trois exilés de la dictature franquiste devenus argentins, portent plainte devant les tribunaux de leur nouveau pays contre leurs tortionnaires ; ils sont suivis par des milliers d’Espagnols au nom du principe de la “juridiction universelle” : les crimes contre l’humanité, imprescriptibles et in-amnistiables, peuvent être poursuivis hors des limites des frontières des pays où ils ont été commis.

Deux commissions rogatoires envoyées par la juge argentine María Servini obtiennent les mêmes réponses sous deux gouvernements différents du PSOE et du PP : “L’Argentine n’a pas compétence à enquêter puisque l’Espagne procède déjà à des investigations sur ces actes”. Ce que la juge conteste et que le sort de Baltasar Garzón infirme. Dans le monde entier, la seule affaire judiciaire ouverte en relation avec des crimes du franquisme est celle décidée par l’Argentine dans le cadre de la juridiction universelle.

Sans surprise pour les avocats de l’affaire argentine, il y a quelques jours, le juge instructeur espagnol a estimé non nécessaire la détention préventive des quatre présumés tortionnaires transmise par Interpol : deux d’entre eux seraient morts, les deux autres se présenteraient aux interrogatoires le jour où l’extradition serait demandée.

Des représentants de l’ONU tancent le gouvernement espagnol

Parallèlement à cette actualité, un groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires est arrivé en Espagne le 24 septembre dernier. La mission de ces cinq experts indépendants est d’essayer d’aider les familles à découvrir les lieux où se trouvent leurs proches disparus. Ils ont pu rencontrer entre autres les représentants de la Plateforme pour une Commission Vérité, ceux de la Fédération nationale des forums pour la Mémoire et ceux de la Plateforme contre l’impunité du franquisme ; tous ont fortement réitéré leurs revendications.

Lundi 30 septembre, ce groupe présentait ses conclusions préliminaires accablantes pour le gouvernement espagnol : en quarante ans de démocratie, l’État n’a fait que des efforts “timides” pour répondre à ces attentes. Les experts demandent au pouvoir exécutif d’engager des actions et de lancer un plan national de recherche des disparus. En outre, ils exigent une dérogation de la partie de la loi d’amnistie de 1977 qui empêche les enquêtes sur les crimes commis par le régime franquiste. “C’est le devoir de l’État de juger les disparitions forcées et d’établir leur imprescriptibilité”, ont-ils déclaré.

Quelle sera l’attitude de Mariano Rajoy devant les exigences de l’ONU ? Que répondra-t-il à la demande d’extradition de la juge argentine? On peut s’attendre à un refus catégorique de la part du leader du Parti Populaire. Cependant, la décision espagnole devra respecter les principes du droit européen, or la torture est un crime de juridiction universelle.

Prochaines étapes :

- Le 20 novembre, jour anniversaire de la mort de Franco, la juge María Servini de Cubria recevra les victimes de la dictature et des fonctionnaires espagnols pour entendre leurs témoignages dans le cadre de l’enquête.

- Des députés des partis BNG (Bloque Nacionalista Galego), Izquierda Unida, Amaiur (coalition politique nationaliste basque de gauche) et peut-être PSOE (Partido socialiste obrero español) les accompagneront.

- Il est probable que le député de ERC (Esquerra Republicana de Catalunya), Joan Tardá, les précède en octobre pour déposer une plainte pour l’assassinat durant la dictature, de Lluis Companys qui avait été président de la Generalitat de Catalunya pendant la IIe République.

Les jours qui viennent seront révélateurs, il n’en reste pas moins que le rapport complet des experts de l’ONU ainsi que la décision de la juge et l’appui institutionnel croissant de l’Argentine à cette cause redonnent voix aux milliers de torturés, disparus, enfants volés, victimes de la dictature franquiste.

Les conclusions des experts de l’ONU

La décision de la juge argentine

Sources : association IRIS Mémoires d’Espagne

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