Auteur : Récit de Yasmina Khadra - Illustrations de Marc N'Guessan

Je partis pour Marseille. Mon stage fut revu à la baisse à cause de ma réticence et ramené à trois semaines  ; pour moi, il aura duré des mois. Je n’avais rien dit à Irène. Je n’en avais pas eu le courage. Un matin, j’ai jeté mes affaires dans deux sacs marins et j’ai sauté dans la voiture des Marseillais qui m’attendaient au coin de la rue du Général-Cérez. Le Duc et sa clique piaffaient sur les quais. Ils furent soulagés de me voir et me promirent que je n’allais pas regretter. La traversée fut rude. Je n’avais jamais pris de bateau auparavant. Le mal de mer m’avait forcé à rendre jusqu’à mes tripes. Il m’avait fallu plusieurs jours et plusieurs décoctions pour m’en remettre.

De Marseille, je ne garderai que le souvenir d’un camp retranché, des épreuves titanesques, des journées aussi strictes qu’un programme pénitentiaire, des sparring-partners increvables et des nuits froides hurlantes de mistral. C’était suffisant pour développer mon agressivité. J’ai été traité comme une bête que l’on affame dans l’isolement total afin de la préparer pour la plus effroyable des boucheries. En effet, je pensais plus à Pascal Bonnot qu’à Irène ; je n’attendais que le moment de le croiser sur un ring pour le transformer en bouillie. Je détestais mes nouveaux entraîneurs, leurs manières de brutes, leur arrogance ; c’étaient des gens obtus, patibulaires et prétentieux  ; ils ne parlaient pas, ils gueulaient, persuadés que tous ceux qui débarquaient des colonies étaient des sauvages fraîchement cueillis d’un baobab. Dès les premiers jours, j’ai senti que les choses allaient mal tourner. J’avais horreur que l’on me mitraille de bave lorsqu’on me criait après. J’en étais arrivé aux mains avec un assistant rabougri flanqué d’une grosse tête bosselée qui faisait des réflexions racistes sur les Arabes. Plus tard, je compris que ces provocations et hostilités étaient une tactique qui consistait à me rendre fou de haine dans le but manifeste de faire de mon prochain adversaire, Pascal Bonnot, une seule bouchée.

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