Avant-propos – Edito

Désirs d’ailleurs

D’où nous vient soudain ce désir d’ailleurs ? L’année où nos corps et nos esprits ont été confinés, empêchés d’aller et venir à notre guise, de sortir tard, d’aller au théâtre, au cinéma, au restaurant, de visiter sans restriction amis, proches, famille… c’est aussi l’année où les voyages à l’étranger et les déplacements se sont faits plus chiches, pandémie oblige. La planète y a certes gagné une empreinte écologique amoindrie, mais ce temps suspendu a restreint notre plaisir d’aller vers un ailleurs, de découvrir d’autres réalités, d’autres peuples. Mais le voyage physique n’est pas tout, il nous reste le voyage par l’imagination, le rêve, le plaisir, grâce à la littérature, les œuvres de fiction, les récits, les histoires extraordinaires…

Cette nouvelle livraison de Gibraltar, qui se propose modestement depuis ses débuts d’établir des passerelles entre les humains des différentes rives de la Méditerranée, nous mène vers quatre villes-mondes, cités éternelles de tous les possibles : Barcelone, Tanger, Lisbonne et aussi Marseille. Dans des registres distincts, nos auteurs évoquent les écrivains ayant réinventé la ville (Barcelone), son âge d’or et la carcasse de béton d’un théâtre-opéra abandonné (Tanger), le manque causé par l’éloignement et l’impossibilité d’y retourner, d’où surgit l’écriture consolatrice sous la plume du romancier Jacques Houssay (Lisbonne) et enfin une ville-phénix, à la fois douce et violente, souvent décriée, en proie à de perpétuels soubresauts, semblant résister au changement (Marseille).

Marseille toujours, carrefour de la Méditerranée, avec une évocation de la rafle du 22 au 24 janvier 1943 où 12 000 modestes habitants de la “Petite Naples”, dans le quartier Saint-Jean, à l’arrière du Vieux-Port, furent expulsés par la police française vers un camp à Fréjus, d’autres déportés, les immeubles dynamités par les nazis pour qui ce quartier était le “chancre de l’Europe”… Depuis 2019, une enquête est en cours pour établir d’éventuelles responsabilités pour “crime contre l’humanité”. Histoire enfouie dans la mémoire marseillaise et des descendants des victimes face à l’intolérance et la barbarie.

En France, à l’heure de la crise de la représentativité politique, de l’abstention, du mal-être social et de poches de précarité, nous avons enquêté dans deux villes d’Occitanie, Perpignan et Béziers, loin d’être des exceptions, où les clignotants sociaux sont dans le rouge. Des maires d’extrême droite ou proches des idées du Rassemblement national (RN, ex-Front National) y ont été élus ou réélus. Nous avons voulu comprendre pourquoi une majorité d’habitants, sans doute découragés par la faiblesse des solutions apportées jusqu’à présent à leurs soucis quotidiens, se sont laissés gagner par une forme de renoncement ou d’indifférence politique.

Santiago Mendieta, directeur de la publication

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