Méditerranée, le “noir” et le bleu

Gibraltar est de retour avec une carte blanche autour du roman noir avec cinq écri-vains qui tissent le dossier de cette onzième saison. Pas de meurtres sordides ou de policiers à la recherche d’un tueur en série mais une autre façon de regarder ce genre – le “noir” – sous le prisme humain, social, des mondes méditerranéens. Interrogations métaphysiques et intemporelles avec le grand romancier espagnol Víctor del Árbol; trafic d’organes et décomposition sociale en Syrie avec Benoît Séverac ; évocation de la folie et d’un mystérieux poisson en Corse avec Cécilia Castelli ; récréation mafieuse et visite des splendeurs de Naples avec David Torres. Enfin, Francis Pornon nous trans- porte à Ibiza, pour une enquête express sur les pas d’une milicienne libertaire et de Raoul Villain, l’assassin de Jean Jaurès, en août 1936 durant la guerre d’Espagne…

Alors que l’agression de la Russie en Ukraine heurte nos consciences et bouleverse nos modes de vie, l’Arménie lutte pour sa survie face à son voisin, l’Azerbaïdjan, qui lui dis- pute âprement l’enclave du Haut-Karabakh. Gibraltar déploie un récit photographique de la photo-reporter Julie Imbert qui documente les souffrances des soldats envoyés sur le front, souvent mutilés par de nouvelles armes tels les drones armés et télé- commandés fournis par la Turquie. Ces survivants arméniens, dont certains sont âgés d’une vingtaine d’années, parfois lourdement handicapés et traumatisés, cherchent à se reconstruire et à retrouver le goût de vivre dans une nation qui doute et s’interroge.

La santé de la mer Méditerranée et de ses écosystèmes marins par les pollutions a de quoi inquiéter. L’un des maux les plus insidieux, affectant jusqu’à la santé humaine, la pollution microplastique a inspiré un conte dystopique pour petits et grands à l’écrivain Didier Goupil, intitulé Mer Bouillabaisse, dans lequel les premières victimes de cette plastisphère, les espèces de poissons, prennent la parole. Contraints de migrer, ceux-ci envisagent de muter pour coloniser d’autres habitats plus hospitaliers…

Une histoire oubliée. À la fin du xviiie siècle, la Couronne du Portugal, accaparée par la colonisation du Brésil, décide d’évacuer ses possessions en terres musulmanes, dont la citadelle fortifiée de Mazagan, actuelle El-Jadida, sur la côte atlantique marocaine, non loin de Casablanca. La population portugaise est évacuée d’autorité vers Lisbonne puis déportée en Amazonie pour y fonder une nouvelle Mazagan… Colonisation toujours, mais aussi domination, indifférence internationale vis-à-vis des Palestiniens… Dans un grand entretien, Elias Sanbar, inlassable avocat de la Palestine nous rappelle pour- quoi, face à cette inégalité et tant d’injustices, Israël devra un jour prendre en compte ces voisins qui “sont dans son jardin”…

Parmi les autres récits de ce numéro, Brice Torrecillas nous conte une petite histoire du vermouth, ce vin aromatisé au nom allemand, dont le berceau se situe en Italie, et qui fait fureur en Espagne, notamment en Catalogne, après avoir été longtemps jugé démodé ou associé au franquisme. Retour en grâce également pour le rugby à quinze en Algérie, sous la plume de Paul Périé, où ce sport assimilé à la colonisation française est à nouveau pratiqué sur l’autre rive de la Méditerranée à l’initiative de joueurs d’origine algérienne jouant… en France ou de descendants de rapatriés. Tout n’est pas si noir qu’il n’y paraît en Méditerranée.

Santiago Mendieta, directeur de la rédaction

Illustrations de couverture de Elza Montlahuc, Quatrième de couverture: dessin de Charlotte Mo.

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