Minuscule territoire regardant vers l’Afrique, enclave  britannique d’outre-mer fichée dans le talon de l’Espagne,  paradis fiscal décrié, vigie sur le Détroit, Gibraltar constitue  un îlot de prospérité sans égal dans une Europe qui souffre  et doute. Malgré ses faux habits de nouveau riche, derrière  une vie quotidienne provinciale sans strass ni paillettes,  le Rocher cache mal ses disparités sociales et l’origine parfois douteuse de son insolente santé économique.

Un extrait du récit qui accompagne le reportage photo d’Arno Brignon

 

Lorsqu’on traverse le tarmac de l’aéroport faisant office de frontière avec l’Espagne pour rejoindre cette ville territoire, aucun signe extérieur clinquant ne vient attirer l’œil du visiteur. Pas de gratte-ciel, de limousines ou de signes de luxe ostentatoire. On est loin de Monaco, Hong-Kong, Dubaï ou autres paradis fiscaux. D’où l’impression de visiter une petite ville de province britannique, sous la bannière de l’Union Jack et le soleil de la Méditerranée. Comme la Grande-Bretagne, Gibraltar fait partie de l’Union européenne mais pas de l’espace Schengen favorisant la “libre circulation”. Aussi, cette frontière toujours palpable voit à chaque incident diplomatique d’interminables files de voiture se former à ses portes. À l’instigation de Madrid, les douaniers espagnols y multiplient les contrôles en représailles de ses désaccords avec le gouvernement local ou même avec Londres, occasionnant des gênes pour les Espagnols venant travailler tous les jours sur le territoire.

Dans ce territoire d’outre-mer du Royaume-Uni, siège un gouvernement autonome. Seules les affaires étrangères et la défense demeurent de la compétence du 10 Downing Street. 99 % des Gibraltariens ont choisi de rester liés à la couronne britannique lors du référendum de 2002 et de rejeter en bloc le partage de souveraineté de la Grande-Bretagne avec l’Espagne. Un score similaire à celui du référendum du 10 septembre 1967 confirmant la tutelle de Londres sur le Rocher. Cette date est le jour de la fête nationale. Outre le National Day (10 septembre) et son lâcher de ballons géant, l’élection de Miss Gibraltar en juin reste l’autre événement marquant du calendrier gibraltarien.

Gibraltar, falaise légendaire veillant sur le détroit éponyme, tire son nom de l’arabe (le mont de Tariq). Outre les frictions concernant la souveraineté, les tensions diplomatiques sont monnaie courante à propos de la pêche dans la baie d’Algésiras, des terres gagnées sur la mer, des fuites de pétrole liées aux activités de soutage ou bunkering

Avec un produit intérieur brut (PIB) parmi les plus élevés au monde après le Qatar et le Luxembourg, le Rocher envisage de dépasser pour la première fois en 2015 les 2 milliards de PIB. Avec une croissance annuelle de 7 à 10 %, un chômage officiel entre 2 et 3 %, le territoire est prospère selon toutes les apparences. Les chiffres font d’autant plus rêver dans une Europe en plein marasme, en plein doute… De l’autre côté de la grille, dans la ville andalouse de La Línea de la Concepción (Cadix), le chômage atteint le taux insupportable de 35 %, le revenu annuel moyen plafonne sous les 10 000 euros… Six fois moins qu’à Gibraltar. Le “miracle” de ce territoire de 7 kilomètres carrés tient à la faible imposition qui attire les capitaux de toutes provenances y compris les plus douteuses, services bancaires et financiers peu regardants, activités portuaires, jeux en ligne, tourisme également… L’Office européen de la lutte antifraude pointe l’importance des revenus liés à la contrebande, notamment de tabac, qui représenterait un tiers du budget du Rocher. Aux yeux du gouvernement espagnol, ces importations massives de cigarettes détaxées prouvent que Gibraltar viole la loi. Comment croire que les Llanitos, le surnom des Gibraltariens, puissent fumer neuf paquets de cigarettes par jour ! Les autorités locales assurent que ce tabac est vendu aux 7 millions de visiteurs annuels qui viennent se ravitailler…

(La suite à lire et à découvrir dans le récit photo d’Arno Brignon, dans Gibraltar numéro 4) 
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