L’exposition Made in Algeria, Généalogie d’un territoire au MUCEM jusqu’au 2 mai prochain est consacrée à la représentation de l’Algérie depuis sa conquête par les troupes françaises en 1830 jusqu’à aujourd’hui à travers la cartographie, la peinture, la représentation graphique coloniale et française, la photographie, la vidéo… La guerre d’Algérie est évacuée au profit d’un long processus de représentation (cartes, dessins, tableaux, films, photos…) qui appréhende le mode d’être et le passé d’un pays fascinant vu alors comme la « nouvelle frontière » ou le pays de tous les possibles. Des documents pratiquement tous inédits, à voir jusqu’au 2 mai 2016 sur les quais du Vieux Port de Marseille, au MUCEM.

 

Visiter l’exposition Made in Algeria, Généalogie d’un territoire, au MUCEM de Marseille, c’est embrasser plus de 130 ans de représentation française en Algérie. Lorsque les troupes françaises débarquent à Sidi-Ferruch, en juin 1830, l’armée et les Français connaissent très mal le territoire de la régence ottomane. Pour les Européens, seule compte la longue frange littorale, face à la Méditerranée. Au départ, l’affaire se présente comme une expédition punitive contre le Dey d’Alger pour une sombre affaire d’ambassadeur français outragé et d’emprunt contracté par la France vis-à-vis du Dey (pour acheter du blé pour la campagne d’Égypte du général Bonaparte en 1898 !) et non payé. L’aventure lancée par le roi Charles X se transforme en guerre de conquête de la partie utile de l’Algérie puis de l’ensemble du pays jusqu’au Sahara, jusqu’à la colonisation avec des populations venues d’Europe. Au départ, dans la plus stricte indifférence des Français de métropole qui n’apprécient guère le souverain. La présence française en Algérie durera plus de 130 ans, de 1830 jusqu’à l’indépendance algérienne et ses déchirements en 1962.

De la conquête d’Alger (suivie de sa mise à sac) à la fin de la guerre contre Abd el-Kader, l’Algérie devient le domaine des militaires. À mesure que l’armée d’Afrique conquiert dans le fracas des armes le territoire, l’imagerie, notamment militaire, ne va cesser de s’emparer des nombreuses expéditions façonnant une vision de ce territoire et glorifiant la conquête puis la colonisation.  À ce titre, la série de six aquarelles et gouaches d’Adrien Dauzats Le passage des Portes de fer (1841), réputées infranchissables dans la montée vers Constantine, tente d’apporter un souffle grandiose et épique à la geste des soldats et sapeurs français dans cet étroit et spectaculaire défilé rocheux. La toponymie locale et les noms autochtones des villes et des lieux vont être substitués par des noms nouveaux donnés à des centres de colonisation ou à des cités algériennes rebaptisées.

Cette forme de dépossession s’exprime dans un premier temps dans la cartographie à l’instar de la Carte des environs de Philippeville (aujourd’hui rebaptisée Skikda, à 350 km à l’est d’Alger sur la côte), datée de 1840-1842, où figurent en toutes lettres les « terrains disponibles à la colonisation européenne », situés clairement en plaine et près des cours d’eau pour l’irrigation et, à l’opposé dans les parties les plus rocailleuses, arides, et les moins fertiles, le « terrain proposé pour réserve à indigènes ». Non content de subir une politique de dépossession des terres de la population autochtone (de quasi « apartheid » dirait-on aujourd’hui), cette dernière se voit déplacée et paupérisée par l’envahisseur et ses nouveaux conquistadors qui vont mettre en place la mise en valeur agricole dont les autochtones vont être, dans un premier temps, exclus.

Carte des environs de Philippeville, terrain proposé pour réserve aux indigènes, vers 1840-1842, ©BNF

Au début de l’exposition, de nombreuses représentations cartographiques (françaises, espagnoles, hollandaises…) à partir XVIe siècle évoque un territoire quasi imaginaire, au relief et au trait de côte approximatifs, aux commentaires enrichis de notes parfois anecdotiques, informatives, à caractère militaire ou fantaisiste (issues de témoignages de voyageurs). Ensuite, apparaît  la vision d’Alger la Blanche et sa représentation fantasmée, le récits des combats navals, de ces multiples sièges de la part des marines étrangères (celles de Charles Quint ou de Louis XIV), jusqu’aux plans d’une grande précision. À l’instar de la Reconnaissance générale d’Alger faite en 1808 (Vincennes, Service historique de la défense)  par l’ingénieur des Mines Vincent-Yves Boutin. Fin observateur, Boutin que l’on peut qualifier d’espion pour la compte du premier Empire dresse un état des lieux précis qui servit plus tard au débarquement de 1830 des troupes françaises. C’est d’ailleurs Boutin qui suggéra le premier comme lieu unique de débarquement du corps expéditionnaire la plage de Sidi-Ferruch à l’ouest d’Alger. Dix ans après l’expédition d’Égypte de Bonaparte, ce dernier songeait déjà à prendre pied en Afrique du Nord et commanda à son ministre de la Marine une note sur la ville et ses environs. C’est donc le colonel de génie Boutin qui la réalisa en faisant mine de flâner de mai à juillet 1808, un livre de Shaw en main. Outre d’admirables dessins, cartes manuscrites ou lithographiées de la baie et du port d’Alger, le visiteur découvre également une impressionnante maquette de la ville sous la forme de plan-relief avec la casbah, remparts, jetées, quais ainsi que le phare.

Reconnaissance générale d’Alger faite en 1808 par l’ingénieur Boutin. ©Service historique de la Défense.

La pertinence des illustrations réunies dans cette superbe exposition au Musée des civilisations de l’Europe & de la Méditerranée (MUCEM) ne s’arrête pas à la cartographie. On découvre des toiles de grandes dimensions pratiquement jamais vues, issues des collections du château de Versailles et signées de grands peintres militaires montrant des paysages magistraux du littoral verdoyant ou de l’intérieur plus désertique, telle la Vue générale de l’itinéraire suivi par la colonne expéditionnaire depuis Constantine jusqu’à Alger, octobre 1839 (1841, 206 X 251 cm) par Jean Antoine Siméon Fort ou encoreLa Prise de Bône, 27 mars 1832 (1835, 260 x 227 cm) d’Horace Vernet. Ce dernier montre l’action volontariste des soldats français vainqueurs lors de la montée du drapeau tricolore le long des remparts qui semblent réconforter ou fraterniser avec des Arabes vaincus et fatalistes.

 

Jean Antoine Siméon Fort, Vue générale de l’itinéraire suivi par la colonne expéditionnaire depuis Constantine jusqu’à Alger, octobre 1839, 1841, huile sur toile.
© Château de Versailles, photo Christophe Fouin.

 

Le passage des Portes de fer, de Constantine à Alger, par Adrien Dauzats 1841.
©RMN-Grand Palais (Château de Versailles)/Gérard Blot.

 

La Prise de Bône, 27 mars 1832 (1835, 260 x 227 cm) d’Horace Vernet.
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles)/Gérard Blot

De multiples documents émaillent le parcours muséographique comme cette affiche imprimée de grand format sur en-tête de la République française (les régimes à Paris se succèdent mais la colonisation de l’Algérie se poursuit et s’amplifie), datée de 1848 (avant le coup d’État du futur Napoléon III) qui évoque une mobilisation générale. Cet appel à coloniser le territoire de l’autre côté de la Méditerranée s’adresse aux ouvriers de toutes conditions (Colonisation de l’Algérie. Avis aux ouvriers, 1848), chefs de famille, possédant une formation agricole, au casier judiciaire vierge, en vue d’accélérer la colonisation. Dans Paris et sa périphérie, les conditions de vie de la population, notamment dans le milieu ouvrier, sont misérables et l’insalubrité règne. Le ministère de l’Intérieur, en dépit de la chute de la Monarchie de Juillet et de l’avènement de la IIe République, craint l’imminence d’une insurrection. Aussi dès septembre 1848, les autorités républicaines promeuvent l’installation d’une main d’œuvre ouvrière dans les centres de colonisation ouvrières en Algérie. En 1841, le général Bugeaud avait déjà distribué des lots de terres de la commune de Cherchell (actuelle wilaya de Tipaza) à des colons déjà présents en Afrique. Des « convois de 1848 », assimilés à une déportation massive de miséreux acheminent de Paris à Alger, via le port de Marseille, plusieurs centaine de milliers de futurs colons qui connaîtront des fortunes diverses. Une grande partie d’entr’eux restèrent des indigents en terra africaine.

Colonisation de l’Algérie. Avis aux ouvriers, 1848, affiche imprimée.
© FR ANOM Aix-en-Provence, tous droits réservées, n°9 Fi 593

Après la fabrique de l’Algérie par le colonisateur, arrive également la fin de l’Algérie sous domination française avec le cruel conflit entre la France et les nationalistes algériens. Les représentations officielles masquent la réalité de la vie des population autochtones qui ont toujours été écartées de la gouvernance du territoire, bien que celles-ci représentent 90 % des habitants. Bien que la France tente de nouvelles politiques sociales et économiques, elles ne pourront mettre un terme au mouvement de l’histoire qui donne accès à l’indépendance, comme ailleurs sur le continent africain.

Images du premier photographe algérien (l’écrivain et poète Mohammed Dib) de la population algérienne ou celles du journaliste, instituteur et militant Gaston Revel à Aïn Tabia et Bougie (Béjaïa), mais aussi images d’archives de l’INA au temps des grandes productions agricoles (oranges, blé, vignes…) dont l’essentiel est exporté en métropole, vidéos et installations d’art contemporain complètent ce panorama original : la cristallisation d’un territoire dans l’imaginaire occidental et aussi français. Entre nostalgie, frustrations, ressentiment ou apaisement, cette exposition d’envergure avec des documents inédits prennent ici tout leur sens et interroge sur la gestion malaisée d’une histoire chaotique mais commune entre les deux rives de la Méditerranée.

Exposition  jusqu’au 2 mai 2016

Made in Algeria, Généalogie d’un territoire,

Exposition temporaire MUCEM, 1 esplanade du J4, Marseille

Catalogue en quadrichromie (MUCEM, Hazan, 240 pages, 35 euros)

 En savoir plus

http://www.mucem.org/fr/exposition/made-algeria-genealogie-dun-territoire?page=programmation

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