Requiem pour un paradis perdu. La Isabela (1826-1955). Un récit à deux voix de Jesús et Clarisa, dont l’enfance est marquée par la disparition du village. Plus de 500 villages ont été ainsi engloutis au XXe siècle en Espagne pour les besoins des barrages hydro-électriques, notamment sous la dictature du général Francisco Franco (1939-1975). Un récit de Santiago Mendieta, d’après une histoire vraie.

Un village ayant eu à peine 130 d’existence, cela paraît être une fiction ou une aberration historique. Et pourtant La Isabela a été créée de toutes pièces en 1826 à l’instigation du roi d’Espagne Ferdinand VII et de son vieil oncle, l’infant Antoine de Bourbon, sur un surplomb de la rivière Guadiela, un affluent du Tage, sur l’âpre plateau castillan de la Alcarria, entre les villes de Guadalajara et Cuenca, à l’est de Madrid. Au printemps 1955, clap de fin, ce hameau thermal a été avalé, anéanti, par la vague bleue du grand barrage hydroélectrique de Buendía .

Construit d’après le modèle des cités de la Nouvelle Grenade, dans les possessions d’Amérique latine, avec rues et places en damier, pâtés de maison équidistants, le site royal de La Isabela fut conçu pour l’aristocratie afin qu’elle profite des bienfaits de ses eaux thermales, connus depuis les Romains, puis durant la période musulmane. Les jardiniers royaux de Ferdinand VII y aménagèrent de vastes vergers alimentés par d’ingénieux canaux d’irrigation captant l’eau de sources qui jamais ne se tarissaient et conçurent des jardins et allées ombragées où coulaient des fontaines rappelant ceux d’un autre site royal bien plus grandiose, Aranjuez, siège de la Cour construit sous Philippe II.

À la Isabela, la Couronne d’Espagne installa des colons issus des provinces de l’Espagne, notamment du Pays basque, pour y travailler la terre et faire vivre le site, louant des chambres aux curistes venues prendre les eaux. Leurs descendants vécurent là au gré des générations se succédant, jusqu’à ce qu’en mars 1955, l’imposant barrage de Buendía, situé dix kilomètres en amont sur le Guadiela, dont les travaux avait débuté une décennie plus tôt, n’engloutisse à jamais leur univers, l’établissement thermal, noyant terres agricoles, maisons, souvenirs et anéantissant jusqu’à la mémoire de ceux qui les avaient précédés.

Avec la sécheresse persistante en Espagne depuis dix ans et les transferts d’eau massifs vers le sud de la péninsule (vers Murcie et ses cultures irriguées), le lac artificiel de Buendía est aujourd’hui à peine à 10 % de sa capacité. Et depuis plusieurs années, les ruines du hameau thermal de La Isabela réapparaissent, faisant ressurgir cette mémoire enfouie, bâillonnée par la dictature et les oukases de la compagnie hydro-électrique. Et pendant ce temps, le Guadiela emprisonné, affluent du Tage, se meurt, de même qu’en aval, le Tage se meurt du fait de la sécheresse et de la surexploitation des ressources.

Ce récit, publié dans le N° 6 de la revue Gibraltar, raconte AUSSI une histoire plus intime, celle d’une petite fille, d’Elena ou Elenita, née à Genève dans une famille de l’aristocratie espagnole, tombée malade puis guérie par les bienfaits des eaux thermales de la Isabela. À lire absolument.

 

Les thermes de La Isabela, à la fin des années 1920, aujourd’hui submergés depuis 1955 par le lac de Buendía.

Une image d’Elena Dupont-Willemin, à l’heure de la baignade durant l’été 1933. Les eaux thermales de La Isabela lui avait rendu la santé. Depuis elle revenait chaque été.

 

 

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