Henry de Monfreid, le créateur des Secrets de la mer Rouge, paru en 1931, a connu de multiples vies. Colporteur, ingénieur, éleveur, il repart à zéro dans la Corne de l’Afrique. Tour à tour représentant en cuirs et café en Éthiopie, entrepreneur, contrebandier, trafiquant d’armes et de drogues, espion, puis prisonnier de guerre des Britanniques au Kenya… De ces aventures, trafics et péripéties, cet anti-conformiste roublard, volontiers faussaire, a façonné une profuse œuvre littéraire s’ouvrant avec Les Secrets de la mer Rouge. Ambigu sur ses positions politiques durant la guerre, ce conteur hors pair des mondes disparus, gagné par la misanthropie, fut avant tout un aventurier âpre au gain, un enfant corsaire de La Franqui, à Leucate dans l’Aude, sur la côte sablonneuse du golfe du Lion.

Récit de Santiago Mendieta

Enfant, il n’eut comme ami que le vent, tramontane ou cers, qui régente cette côte sablonneuse du golfe du Lion. Sur la presqu’île de Leucate encadrée par l’étang de Lapalme au nord et l’étang de Salses-Leucate au sud, s’étend le mince ruban de la plage de La Franqui, tel un lido languedocien qui fait honneur au littoral de l’Aude. Pas une construction, pas une route le long des sept kilomètres qui courent de Port-la-Nouvelle au cap Leucate, amer des navigateurs et plaisanciers émergeant de la bande littorale plane et blanche. C’est toujours le cas aujourd’hui malgré les travaux pharaoniques de la Mission Racine qui ont fait émerger plus au sud le béton de la station balnéaire de Port-Leucate et son célèbre village naturiste à la fin des années 1960. Durant le rugueux hiver 1879, un 14 novembre, voit le jour dans ce hameau maritime de Leucate un garçon vigoureux qui connaîtra une vie aventureuse et un destin hors du commun : Henry de Monfreid. Pour l’heure, il se prénomme Henri, le “y” viendra bien plus tard. 

 Au dernier tiers du XIXesiècle, La Franqui n’est alors qu’une modeste station de bains de mer qui attire les estivants avec l’arrivée du chemin de fer à Leucate et l’engouement pour le grand air, les baignades. La famille maternelle d’Henri possède une petite pension qui accueille plagistes et autres pensionnaires qui reviennent d’un été à l’autre. Prospère, l’établissement s’agrandit, accueille la petite bourgeoisie, des habitués, mais aussi ouvriers et brassiers lors des vendanges. Garrigue, vignes, amandiers, murs de pierres sèches, le pays est âpre, pauvre, balayé par les rafales. Adossé à une falaise rocheuse, l’hôtel de la famille Bertrand, famille de vignerons, propriétaire de la plupart des terres du hameau, prend plus tard le nom d’Excelsior sous la férule de son oncle Émile Bertrand, un architecte en vogue installé à Paris. La construction qui se love dans un grand parc arboré fait face à la grande plage. 

Du côté paternel, la famille se réduit à son père George-Daniel (1856-1929) et à une grand-mère dont la vie s’apparente à une partie de cache-cache. Caroline de Monfreid (1822-1905), chanteuse d’opéra originaire de la région toulousaine, un temps affiliée au théâtre du Capitole, s’appelle en réalité Marguerite Barrière. Elle choisit le nom d’emprunt de De Monfreid, sans doute inspiré par le patronyme de sa propre mère, Fontfrède. Dans sa jeunesse, cette séduisante chanteuse et comédienne a eu hors mariage son fils George Daniel avec un riche joaillier américain Gidéon Reed, directeur de la bijouterie Tiffany à Paris, proche de la cour de Belgique, rencontré lors d’une représentation à Aix-les-Bains. Carolineobtient un passeport américain pour suivre son amant aux États-Unis, sans que jamais l’enfant ne soit reconnu par peur du scandale. Outre-Atlantique, Reed, déjà marié, a une famille officielle, des enfants. Il a les moyens d’acheter une nouvelle identité et d’installer sa maîtresse et son fils dans le midi de la France, dans la gentilhommière de Saint-Clément, à Corneilla-de-Conflent (Pyrénées-Orientales), au pied du Canigou. À vingt ans, George Daniel décide de devenir peintre et “Oncle Reed” comme on le surnomme finance sa formation dans les meilleures écoles. La santé du jeune artiste se voit soudain altérée. Le médecin conseille les bains de mer, ce sera La Franqui, station la plus proche del’établissement balnéaire de la famille BertrandL’apprenti peintre fait la connaissance de la fille des hôteliers, Amélie, jolie brune aux yeux bleus, de six ans son aînée. Les jeunes gens se plaisent et décident de se marier.

De sa naissance à ses 6 ans, Henri est confié à ses grands-parents maternels à La Franqui. Le garçonnet vit au contact de la côte sauvage, des grands espaces inviolés qui vont façonner son désir d’aventure, du grand large. La plage, immense, et la mer à perte de vue, les étangs et ses oiseaux, le plateau désolé et la falaise du cap des Trois-Frères au cap Leucate sont ses terrains de jeu. George Daniel qui débute sa carrière de peintre part pour Paris, avec son épouse Amélie, où ils vivent la vie de bohème, sans se soucier des fins de mois ou de vendre le moindre tableau. Dans la coulisse, l’oncle Reed continue à pourvoir à leurs besoins. Le jeune couple revient voir Henri l’été. 

George Daniel se passionne pour la voile et grâce aux largesses de l’oncle d’Amérique acquiert son deuxième bateau, rebaptisé L’Amélie, en hommage à sa femme. En juillet 1874, Henri n’a que 4 ans et demi lorsqu’il embarque pour une croisière de rêve d’un mois à bord de ce yacht de vingt-deux mètres, pourvu d’un équipage et d’un capitaine. De Port-Vendres à Sète (à l’époque on écrit Cette), puis de Majorque à Alger. Affublé d’une magnifique casquette blanche de capitaine, George Daniel souhaite longer et visiter la côte catalane. Mais le choléra s’étant déclaré à Toulon, les ports espagnols ayant décrété la quarantaine pour les bateaux français leur sont interdits. Armé pour affronter tous les vents, L’Amélie change de cap en direction d’Alger, la mode est à l’orientalisme. Mais le port algérois reste lui aussi fermé. Qu’importe, cet épisode contribue à l’éclosion de son désir d’ailleurs, sa passion de la mer.

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