Sentinelles et insoumis

La liberté ne s’écrit pas toujours en lettre majuscules, notamment au sud de la Méditerranée. Cinq éclairages, parfois aux antipodes, pour montrer la voie de la résistance et de la rébellion.

Un vent mauvais souffle sur les démocraties. La liberté, droit fondamental et conquête aussi indispensable que l’air que l’on respire, s’effrite, trébuche, sous l’effet de la crise économique ,des intolérances qui montent, du repli sur soi… Les unes et les uns s’auto-alimentent dans une spirale inquiétante. La fatigue ou la paresse démocratique d’une frange de citoyens désemparés s’estimant délaissés menace le fonctionnement de nos sociétés. Même avec des élections libres, la fracture de confiance vis-à-vis de ceux qui gouvernent débouche parfois sur des solutions autoritaires qui évoquent certains aspects les plus nauséabonds du passé européen.

Les signaux d’alerte ne manquent pas : votes xénophobes et “dégagistes”, manifestations de rejets des minorités ou des réfugiés fuyant l’arbitraire, la misère ou la guerre, défiance vis-à-vis des moyens d’information, simplification et outrances dans le débat public… Retrouver la sérénité et la patience, vertus anciennes, devient nécessaire.

Mais que dire des pays du sud et de l’est du Bassin méditerranéen, nos voisins, nos frères, sur les autres rives de la Méditerranée ? Si l’on excepte la Tunisie, démocratie certes imparfaite enfantée dans les douleurs des printemps arabes de 2011 mais qui tient le choc face aux périls, le panorama des libertés publiques y est encore moins réjouissant. Au Proche-Orient et au Machrek, la plupart des peuples n’ont connu depuis la fin de la période coloniale que régimes autocratiques, dictatures, guerres, sous-développement, famines, extrémisme religieux, imprévoyance, corruption… auxquels s’ajoutent dérèglements climatiques et sécheresse. Le tableau est contrasté d’un pays à l’autre. Plutôt que de désespérer de la marche de ce monde-là, nous avons choisi d’illustrer cette recherche de la liberté sur l’espace méditerranéen par des portraits, entretiens et récits originaux.

Walter Benjamin cherchait à fuir l’Europe et ses persécutions nazies. Son chemin s’arrête brutalement le 26 septembre 1940 dans le petit port catalan de Port-Bou, près de la France qui le rejette. Contrairement à d’autres, le philosophe juif allemand n’a pu rejoindre la “libre” Amérique. Les portes de la liberté se sont refermées sur lui. Doit-on y voir des analogies avec d’autres réfugiés venus de pays du Sud ?

… Et par le pouvoir d’un mot / Je recommence va vie / Je suis né pour te connaître /Pour te nommer / Liberté.

Ces célèbres vers de Paul Éluard, écrits durant la Résistance française en 1942, trois artistes en exil pourraient les revendiquer : le chanteur Abdullah Miniawy (Égypte), la poétesse et réalisatrice Hala Mohammad (Syrie) et le journaliste-poète Monein Rahma (Soudan). Après le départ forcé ou l’éloignement, demeurent la difficulté à réinventer sa vie dans le pays d’accueil…

Peut-être s’est-il trompé de siècle en devenant forban, hors-la-loi. Dans un registre à part, l’aventurier devenu écrivain Henry de Monfreid ne s’est pas inscrit dans un destin collectif, mais dans une recherche effrénée de liberté individuelle dans la Corne de l’Afrique, sur les traces d’Arthur Rimbaud. Cherchant à “échapper au troupeau”, son refus de la banalité l’a poussé à s’affranchir des lois et de la morale en devenant trafiquant et contrebandier.

Vue depuis l’Europe, l’Égypte est dépeinte sous les traits d’une dictature militaire tenue d’une main de fer par le général Al-Sissi. Le romancier Khaled Al Khamissi vit et travaille au Caire. Il dépeint avec humour et fatalisme les réalités contrastées de son pays depuis la révolution de 2011 sur la place Tahir, ainsi que l’imaginaire d’un pays millénaire, “béni des dieux” grâce à la colonne vertébrale du Nil.

Dans un pays libre comme l’Espagne, que signifie de nos jours rechercher un proche, disparu à la fin de la guerre d’Espagne (1936-1939), fusillé en novembre 1939 par un régime franquiste assoiffé de vengeance ? Soixante-dix-huit ans durant, une octogénaire, Ascensión Mendieta, a soulevé des montagnes, par son seul courage et sa dignité, pour retrouver le corps de son père. C’est à découvrir dans le poignant récit dessiné : Où es-tu Timoteo ?

 

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