Marseille n’a jamais semblé guérie de l’assassinat, en pleine rue et en plein jour, du juge Pierre Michel, abattu le 21 octobre 1981. En marge d’une vérité judiciaire qui fut longue à venir, une légende s’est écrite. Comme il est d’usage cette légende s’est constituée d’un entrelacs de rumeurs, de faits avérés et d’approximations, de récits colportés et modifiés, mais a cependant abouti à faire de cet assassinat une histoire qui demeure fascinante. Récemment, avec le film “La French” de Cédric Jimenez avec Jean Dujardin et Gilles Lelouche qui évoque la saga de la French connection, le cinéma livre un nouvel opus de cette saga à la genèse encore mystérieuse.
Docteur en économie, spécialisé dans la recherche sur les économies parallèles, Thierry Colombié publie le résultat d’une enquête qui met à mal la vérité officielle. La décision d’éliminer le juge Pierre Michel n’aurait pas exclusivement été prise par le Milieu marseillais, mais aurait été inspirée par le Service d’action civique (SAC), un groupuscule agissant de la droite dure gravitant dans la galaxie du gaullisme frustré.
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Interview de Philippe Motta
Dans votre livre relatif à la mort du juge Michel, vous posez comme thèse que le Service d’Action Civique (SAC), qui était à l’époque le bras musclé de la droite dure, aurait conspiré pour que le Milieu élimine le magistrat. Est-ce exact ?
Thierry Colombié. Ce n’est pas le SAC, tel une organisation monolithique, qui a conspiré mais deux hommes du SAC des Bouches-du-Rhône qui, après leur incarcération dans l’affaire de la Tuerie d’Auriol (une famille assassinée) et lâchés par leurs patrons, vont s’allier à des trafiquants de drogue pour imaginer le pire. Il ne faut pas en déduire que la décision d’éliminer le juge Michel a été prise en un claquement de doigts. J’essaie justement de démonter la mécanique qui va amener, dès le mois de septembre 1981, un groupe d’hommes à commanditer l’assassinat depuis la prison des Baumettes. Ceci dans le but de créer un vent de panique dans les tribunaux et dans les plus hautes sphères politiques. C’est un théâtre d’ombres et de nuances où la mise en scène s’improvise au gré d’évènements qui se déroulent tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des Baumettes. N’ayant plus rien à perdre, les hommes du SAC vont inciter François Girard dit « Le Blond », un trafiquant écroué par le juge Michel, à commanditer l’assassinat en lui offrant des compensations. Par exemple, l’opportunité de s’allier avec un chimiste qui « tourne » l’héroïne aux Etats-Unis pour le compte de la Mafia, ainsi que des appuis politiques au sein de Francia, un groupe du SAC établi en Corse qui, à l’époque, s’appuie sur les réseaux Pasqua, notamment. Ayant vécu de près les années de plomb en Italie, impliqué dans de nombreux trafics internationaux, pouvant compter sur des amis et associés marseillais qui sont libres de leurs mouvements, Girard va appuyer sur le bouton, après avoir pesé le pour et le contre.
Pourquoi, selon vous, l’éventualité d’une implication des hommes du SAC n’a jamais été explorée par l’enquête ?
Thierry Colombié. Pour cela, il aurait fallu que François « Le Blond » Girard, qui sera balancé fin 1985 par François Scapula, son meilleur ami, consente à dire ce qu’il savait. Or, Girard n’a jamais avoué quoi que soit, ni même évoqué ses complicités. J’ai eu la chance de rencontrer des hommes proches du « Blond », certains incarcérés aux Baumettes, d’autres qui ont échappé à la prison, qui m’ont raconté les coulisses de la préparation de l’assassinat. Cela fait dix ans que je travaille sur l’affaire Michel et je voulais aller au-delà de la vérité judiciaire, celle prononcée lors du procès en cour d’assises en 1988.
Comment avez-vous fait ?
Thierry Colombié. J’ai reconstitué le puzzle en y incluant les rôles ambigus de Collard et Maria, deux hommes du SAC impliqués à des degrés divers dans la tuerie d’Auriol, et surtout celui de Scapula. Je révèle, dans le livre, que Scapula a reçu les ordres de Girard et orchestré la mise à mort du juge à l’extérieur des Baumettes. Pourquoi ? Car François Scapula et Girard étaient associés dans un trafic d’héroïne, inconnu alors des services de police, un trafic qui allait être balancé par un Marseillais… le lendemain de la mort du juge. Le livre revient sur les dix derniers mois de la vie du magistrat, depuis son déplacement à Palerme jusqu’aux coups de feu, le 21 octobre 1981. A l’époque, les policiers ne savaient pas que Girard était très riche, associé avec des membres des mafias italiennes et libanaises dans plusieurs trafics. En outre, « Le Blond » n’avait peur de rien, pas même d’éliminer un juge qui menaçait de l’envoyer jusqu’à la fin de sa vie en prison. Pour toutes ces raisons, Girard n’eut pas besoin de demander l’autorisation à qui que ce soit, fut-ce un parrain du Milieu à l’instar de Gaétan Zampa, comme on l’a soupçonné. A l’époque, Zampa avait d’autres chats à fouetter : il menait une guerre sans merci contre un clan –dont certains membres vivent encore- qui, lentement mais sûrement, a fait le vide autour de lui, dans le but de récupérer ses affaires « commerciales ». Ces hommes sont devenus les véritables barons du Milieu marseillais et le sont toujours.
Le juge Michel avait-il conscience du danger ?
Thierry Colombié. Pendant des années, le magistrat a reçu des menaces de mort. Des voyous l’ont carrément menacé, dans son cabinet. Michel était le seul juge qui instruisait des dossiers relevant du crime organisé ; il cristallisait la haine de bon nombre de prévenus, haine savamment entretenue par les barons du grand banditisme pour déstabiliser psychologiquement le juge. C’est ainsi que s’est construite la légende du « shérif », d’un juge qui vire policier en prenant pour cible le présumé parrain, Zampa. La rumeur s’est chargée de mettre le feu aux poudres : certains racontaient avoir vu Michel pousser la porte de bars ou de discothèques tenus par des voyous. Il a même été dit que le magistrat filochait lui-même ses cibles, une arme à la ceinture. D’autres affirmaient que le juge entretenait une armée d’indicateurs, plutôt d’indicatrices, juste pour salir sa vie privée.
Avec le recul, on s’aperçoit que les barons du Milieu avaient, comme trop souvent, préparé le terrain d’un assassinat programmé. Un jour ou l’autre, ils savaient qu’un gangster ne supporterait plus ces provocations et le désignerait comme un ennemi à abattre. C’est finalement un trafiquant de drogue qui est passé à l’acte. Cependant, Michel avait d’autres ennemis qui aiguisaient leurs couteaux depuis plusieurs mois, à commencer par des hommes du SAC qui avaient financé les dernières campagnes électorales grâce aux profits tirés de braquages ou du trafic de fausse-monnaie. Sans la Tuerie d’Auriol, qui allait diviser les magistrats au sein du Palais de Marseille sur la question de savoir s’il fallait réunir tous les dossiers concernant le SAC dans les mains d’un seul juge, ou envisager une instruction collégiale, Michel n’aurait pas été assassiné. Pas en 1981…
Connaissant le dessous des cartes, l’incroyable trafic de fausse monnaie, les flics ripoux, le clientélisme politique, les échanges de bons procédés entre le Milieu et des partis politiques, Michel voulait la peau du SAC et le disait haut et fort. Cette volonté lui attirait encore plus d’ennemis au sein du Palais, où certains magistrats prenaient un malin plaisir à diffuser la rumeur selon laquelle leur collègue portait une arme sur lui, même dans son cabinet….
La mort du juge Michel – Contre-enquête sur l’assassinat d’un incorruptible par Thierry Colombié (Editions La Martinière, 320 pages, 20 euros).
Regardez la bande-annonce (100 secondes) du livre
Salut, bravo pour votre article très intéressant! Je suis de bordeaux et je suis passioné par ce sujet. Grâce à votre blog que je viens découvrir au hasard d’un surf, je vais en connaître davantage. Amicalement.