Gibraltar publie dans son dernier numéro (numéro 7) un émouvant récit dessiné qui illustre la quête des familles et descendants des républicains espagnols qui recherchent un proche ou un parent exécuté durant la guerre d’Espagne (1936-1939) ou lors de la répression du régime franquiste dès 1939. 80 ans après ces faits, le passé espagnol et la mémoire de ces années noires sont toujours à vif chez les descendants des vaincus.

Où es-tu Timoteo ? » raconte une histoire vraie : la quête d’Ascención, une octogénaire au seuil de sa vie, qui se bat contre l’État espagnol et la justice de son pays pour exhumer les restes de son père, un modeste boucher et syndicaliste ouvrier, injustement condamné à mort et fusillé en novembre 1939 à Guadalajara, en Castille (Espagne) lors de la repression déclenchée par le nouveau régime de militaires factieux ayant remporté la guerre d’Espagne (1936-1939) contre la IIe République.

Le corps de Timoteo Mendieta, 41 ans à l’époque des faits, repose dans une fosse commune aux côtés d’autres civils fusillés lors de procès militaires iniques. Ascensión avait alors 13 ans. Dans le contexte d’après-guerre, le seul crime de Timoteo est d’avoir été le responsable du syndicat ouvrier UGT (gauche socialiste) dans le village de Sacedón (Guadalajara) et sympathisant républicain. La mère d’Ascension  María, avec huit enfants a survécu en vendant de la nourriture au marché noir. Elle fera pour cela plusieurs séjours en prison. L’enfance d’Ascensión est marquée par tous ces drames, l’intolérance du camp des vainqueurs et la misère de l’après-guerre civile.

Malgré le retour de la démocratie en Espagne, justice n’a pas été rendue aux familles des disparus. La loi  d’aministie de 1977 empêche la recherche de la vérité, la condamnation des bourreaux ou des responsables, l’exhumation des disparus et toute recherche de responsabilités en dépit des recommendations des Nations Unies. Pour parvenir à ses fins, Ascensión a dû prendre un avion en 2014 jusqu’à Buenos Aires, à l’âge de 88 ans, pour saisir une juge argentine qui enquête depuis 2000 sur les crimes du franquisme. L’Argentine a en effet adopté une loi de justice universelle qui lui permet d’être saisie et d’interpeller un État partout dans le monde lorsque les droits de la personne humaine sont bafoués. 

La première planche de ce récit dessiné, signé de Marc N’Guessan, raconte l’inhumation de ce père que sa fille Ascensión, 91 ans désormais, a recherché toute sa vie, tel l’aboutissement de cette inlassable quête. Le reste de l’histoire va remonter le temps et raconter les espoirs, les attentes, les déceptions ainsi que le contexte de ce cas particulier qui a connu un « heureux » dénouement.

Le combat d’Ascensión en résume des milliers d’autres. Les historiens, spécialiste de cette période, estiment que 115 000 personnes environ, en majorité favorables à la IIRépublique, reposent dans des fosses communes sans identification à la suite de la guerre d’Espagne et de la violence d’État déclenchée par les vainqueurs de cette guerre fratricide. De nombreuses familles recherchent le corps d’un père, d’un grand-père, d’un oncle (dans l’immense majorité des hommes) mais en sont empêchés par la justice et une forme d’amnésie collective vis-à-vis des vaincus. 

Une loi dite sur la Mémoire historique, adoptée en octobre 2007, permet désormais les exhumations à condition que les tribunaux locaux saisis dans chaque province en donnent l’autorisation. Ce qui est loin d’être le cas. Mais la loi de 2007 n’est que partiellement ou peu appliquée. Le combat d’Ascension et son courage a redonné un nouvel espoir aux familles qui recherchent un des leurs dans ces fosses du silence. 

Un récit dessiné de Marc N’Guessan, textes de Santiago Mendieta


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